Rappel du Manifeste publié le 4 mai 2012

Manifeste des écrivains et activistes culturels du Mali

© Mouvement Malivaleurs

Depuis plusieurs semaines, de nombreuses zones de notre cher pays, le Mali, sont occupées par les forces du MNLA, de Ansar Ad-Din, AQMI et autres mouvements armés.

Ces forces d’occupation ont créé les conditions d’une profonde déstabilisation de la nation malienne et de ses différentes composantes.

Nous sommes extrêmement préoccupés par la crise que nous vivons, notamment le drame humanitaire vécu par les déplacés et les réfugiés, les veuves et les orphelins. Le meilleur des ressources et potentiels d’un pays, ce sont ses hommes et femmes, ses patrimoines en tous genres ainsi que la paix et la sécurité sans lesquelles il n y a pas de développement durable et de démocratie.

Au nom des patrimoines du Mali, patiemment construits au fur et à mesure des millénaires et des siècles. Au nom des érudits touaregs héritiers des sites d’Es Souk ! Au nom des bâtisseurs d’empire, des savants et écrivains, des explorateurs mandingues ! Au nom des catégories sociales qui ont animé les rites, les rituels et les coutumes ! Au nom des traitants de la savane qui ont bâti les économies précoloniales et les cités marchandes ! An nom des groupes sociaux qui ont fait les systèmes de production! Au nom des chasseurs Donso qui ont fondé les villages et les traditions de défense ! Au nom des artistes et artisans des temps passés, des hommes mémoire qui ont construit les chroniques historiques et les traditions littéraires ! Au nom des traditions de résistance intellectuelle et militaire que nous avons élaborées au cours des siècles, chaque fois que notre espace s’est trouvé menacé ! Au nom du tissu social qui paraissait si bien tissé et des parentés construites par 52 ans de fréquentation au sein de la République ! Au nom de nos contemporains, vous tous qui avez ajouté à ces patrimoines matériels et immatériels !

Nous disons aux forces d’occupation que le cœur du Mali bat en chacun de ses enfants ! Le cœur du Mali bat en chacun de nous ! Que les groupes armés prennent garde ! Qu’ils redoutent la riposte des forces armées conjuguée avec la résistance intérieure !

Nous disons aux forces d’occupation de prendre garde aux patrimoines.

Le patrimoine, ce sont des biens communs, matériels et immatériels, qui appartiennent à tous et dont la communauté toute entière a hérité. Le patrimoine ce sont les manuscrits qui font la singularité et la fierté de Tombouctou, du Mali et de l’Afrique, ce sont les stèles et mausolées, les demeures et les rues anciennes, toutes les structures bâties des villes anciennes, des sites historiques et culturels, tous les savoirs.

Le patrimoine c’est aussi ce qui se bâtit au présent et qui, pour les générations à venir, porte la marque des constructions culturelles. Le patrimoine, ce sont tous les biens et produits culturels, récents ou en cours de construction par les écrivains, les créateurs et les visionnaires contemporains.

Le patrimoine ce sont les chartes sociales et politiques qui lient les communautés, à l’image de Kurukanfuga. Ces chartes fondent les rapports sociaux et les relations inter communautaires. Traces immatérielles et insaisissables, elles fondent la civilité, la paix et l’entente entre individus, entre groupes, entre voisins, entre gens différents.

Le patrimoine, ce sont tous les marqueurs d’identité, plus récents, que sont les monuments, lieux culturels et monuments humains. A cet égard nous élevons une protestation vigoureuse contre les dégradations subies par le monument de Gina Dogon à Douentza, le monument Alfarouk  et les mausolées des saints de Tombouctou. La République du Mali est laïque. Nous condamnons fermement toute atteinte à la diversité culturelle, à la diversité cultuelle et appelons au respect de tous les patrimoines, sans exclusive.

Le Mouvement Malivaleurs, la Coalition Malienne pour la diversité culturelle, le Collectif des écrivains du Mali rassemblés dans PEN-Mali, La Médina, Balanise et tous les activistes culturels lancent le présent appel au MNLA, Ansar Ad-Din, AQMI et autres mouvements armés afin qu’ils respectent tous ces patrimoines qui appartiennent à l’Humanité entière.

Pour compter de cet instant, nous rendons les groupes armés comptables de tous les crimes et violations de droits ! Nous les rendons responsables de toutes les atteintes aux patrimoines ! Pour compter de ce jour nous nous constituons  partie civile contre tous les mouvements armés, leurs cadres dirigeants et leurs membres identifiés. Nous invitons pour ce faire les avocats du Mali et de tous pays à nous appuyer dans ce combat.C’est dans ces patrimoines que la nation va puiser pour tenter de nouer le dialogue.
D’abord et avant tout le dialogue!

Au nom de la raison, de la sagesse et de l’intelligence ! A cause de l’écrasante majorité des populations touaregs et arabes qui portent la République dans leur cœur et qui n’ont pas accepté la partition ! La République doit bien cela à tous ceux du nord du Mali qui participent depuis toujours à la constitution de la richesse nationale ! La République doit bien cela aux nombreux producteurs et travailleurs, cadres intellectuels et agents de l’Etat issus des communautés nomades, qui, en dépit de tout, vivent sur le sol du Mali ! Ou qui ont dû s’expatrier! Au nom de ces républicains, nous devons nous parler plutôt que de faire parler les armes, essayer de panser les blessures, en un mot reconstruire notre pays abîmé et meurtri.

Ceci est un appel à la raison ! Et si le dialogue est épuisé, alors, nous appellerons à la riposte généralisée ! Nos appellerons à la résistance !

Bamako, le 4 mai 2012

Ismaïla Samba Traoré